Moustachues, Moustachus,

Liège-Bastogne-Liège 1987. En tant que coureur du Royal Pesant Club Liégeois, club organisateur de la Doyenne, j’ai l’immense privilège de circuler en toute liberté parmi les pros jusqu’au local de signature de la feuille de départ dans la cour du palais des Princes Evêques à Liège. Tandis que mon « bon papa » se remémore les exploits des anciens tels François Neuville, Briek Schotte ou Emile Masson, maman « mitraille » tous les coureurs avec son Canon Eos récemment acheté pour immortaliser les exploits cyclistes de son fiston. Pour ma part, je cours dans tous les sens au gré du passage des coureurs. Mon stylo chauffe comme jamais : le champion du monde Moreno Argentin, Steve Bauer, Acacio Da Silva, Stephen Roche, Davide Cassani, Marc Sergeant, Urs Zimmermann, Joop Zoetemelk, Marc Gomez, Doug Shapiro, Ludo Peeters, Guy Nulens, Robert Millar, Henk Lubberding… Autant de noms qui bercent mon quotidien de jeune fan de cyclisme et dont les autographes sont désormais couchés pour l’éternité dans mon sacro-saint carnet de signatures. Evidemment, je n’ai d’yeux que pour mes deux idoles, mon « chouchou », l’Irlandais Sean Kelly, déjà vainqueur de l’épreuve en 1984 et le regretté Claudy Criquielion, le lauréat du Tour des Flandres deux semaines auparavant.

Claudy Criquielion au départ de Liège-Bastogne-Liège, en 1987. Photo originale de « maman Gitan »

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L’attaque décisive de Criquielion dans La Redoute. Tous vont finir par lâcher prise sauf Roche

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Claudy Criquielion jouit à cette époque d’une popularité incroyable. Depuis son titre mondial à Montjuich en 1984, le coureur de Deux-Acren fait véritablement l’unanimité auprès des supporters belges. En ce dimanche de Pâques, c’est donc tout un pays qui croit dur comme fer que notre Claudy national va enfin remporter la Doyenne et succéder, ainsi, à Joseph Bruyère, dernier vainqueur wallon en 1978.

Entre Liège-Bastogne-Liège et le coureur de l’équipe Hitachi, c’est en effet une longue histoire d’amour inachevée : 4ème en 1982, 7ème en 1984, 2ème en 1985 et 4ème en 1986 ! Lors des deux dernières éditions, Claudy est manifestement le plus costaud mais l’italien Moreno Argentin lui barre à deux reprises la route du succès. Gonflé à bloc par sa récente victoire au Ronde, le « Criq » est donc, en ce 19 avril 1987, le grand favori de la plus belle des classiques (un peu de chauvinisme, pardi !).

Jusqu’à quelques encablures de l’arrivée, la course se déroule comme dans un rêve. Après que son équipe ait parfaitement maîtrisé la course, Claudy parvient enfin à distancer sa bête noire, Moreno Argentin, dans la terrible côte de La Redoute. Seul Stephen Roche, l’irlandais de la Carrera, parvient à accrocher la roue du coureur wallon.

Le duo plonge vers Liège et le Boulevard de la Sauvenière où est jugée l’arrivée. Claudy va-t-il enfin remporter sa Doyenne ? Personne n’en doute. Puis, subitement, tout bascule ! Roche ne veut plus relayer, Claudy se retourne, incrédule. En vain. L’irlandais tergiverse et ne passe plus. La vue barrée par les voitures suiveuses, le duo de tête fait quasiment du sur-place et ne voit pas les poursuivants – Argentin en tête – foncer sur eux. Dernier virage en épingle avant l’ultime ligne droite, Argentin est sur le point de rentrer sur Criquielion et Roche ! La suite, vous la connaissez probablement. Argentin, le maillot irisé sur les épaules remporte son 3ème succès d’affilée à Liège… au nez et à la barbe des deux échappés !

Je suis triste, fâché, frustré, déçu. Une chose est certaine, jamais ce Stephen Roche ne trouvera grâce à mes yeux (malgré son exceptionnelle saison 1987 où il remporte le Giro, le Tour et le championnat du monde). Il a fait perdre Liège-Bastogne-Liège à notre Claudy!

Claudy échoue de nouveau à la seconde place de la Doyenne en 1991 derrière l’inévitable Moreno Argentin. Liège-Bastogne-Liège manquera donc toujours à son magnifique palmarès, tout comme ce fameux second titre de champion du monde qui lui semblait tout destiné en 1988.

Souvenez-vous, nous sommes le 28 août 1988. La ville de Renaix accueille, pour la seconde fois de son histoire, le championnat du monde sur route. Vingt-cinq ans plus tôt, en 1963, la course à l’arc-en-ciel avait laissé un goût amer aux supporters belges présents à Renaix. Crime de lèse-majesté suprême, Benoni Beheyt, un lieutenant de l’armada belge pourtant toute dévouée à Rik Van Looy, avait eu l’outrecuidance de devancer ce dernier et d’enfiler la tunique irisée dans l’incompréhension générale et sous les huées des fans de l’empereur d’Herentals. Qu’allait donc nous réserver ce nouveau championnat du monde en ce lieu maudit du cyclisme belge?

Notre Claudy fait clairement figure de favoris de la course au maillot arc-en-ciel au côté des cadors de l’époque – Argentin, Fignon, Rooks, Kelly, Planckaert ou encore van der Poel. Dans la dernière ascension du Kruisberg, il place l’attaque décisive. Seul le jeune italien Maurizio Fondriest s’accroche à sa roue avant que Steve Bauer ne fasse la jonction. Le trio unit ses efforts dans le dernier tour et c’est donc dans un sprint à trois que la victoire doit se jouer. L’arrivée en côté avantage notre compatriote. Toute la Belgique retient son souffle. Bauer lance le sprint en puissance. Claudy, plus véloce, le remonte par la droite. Le canadien se sent débordé, ferme la porte et tasse le coureur wallon dans les barrières… C’est la chute! Criquielion se retrouve au sol.

Fondriest tire les marrons du feu et franchit la ligne en vainqueur. L’image de Claudy franchissant l’arrivée à pied, le bras levé en signe de protestation, fait le tour du monde. Bauer est certes déclassé mais il a brisé mon rêve de gamin supporter, le rêve d’une nation cycliste. Désolation et stupeur dans le clan belge.

« Tout le monde a bien vu que j’allais remonter Bauer et l’emporter, ce titre me revient » clame naïvement le coureur belge. C’est pourtant Fondriest qui endosse, à l’âge de 23 ans, le maillot de champion du monde tant convoité.

Championnat du monde 1984 à Montjuich. De gauche à droite, Claudio Corti, Claudy Criquielion et un certain… Steve Bauer

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Toutefois, résumer la carrière de Claudy Criquielion à ses échecs à Liège et à ce triste épisode de Renaix serait trahir la réalité de son glorieux palmarès. Au moment d’honorer ce coureur ô combien emblématique du cyclisme belge et wallon, j’aimerais qu’on se souvienne, d’abord, de ses victoires, de ses coups d’éclats et de la joie qu’il procura à ses nombreux supporters et sympathisants!

Son surprenant titre de champion du monde en Espagne en 1984. Un dernier tour épique sur le difficile tracé de Montjuich. L’Italien Claudio Corti seul en poursuite derrière Claudy. Un mano à mano s’engage. Le « Criq » tient bon et va chercher ce titre mondial que personne n’attendait. Imaginez-vous, un wallon champion du monde sur un vélo Splendor, bicyclette produite dans notre belle province namuroise.

Son succès au Tour des Flandres en 1987, dans une course extrêmement sélective n’autorisant plus que la crème de « Flandriens » dans le dernier groupe de dix échappés. Et pourtant, au terme d’une haletante finale, c’est lui, le spécialiste des « ardennaises » qui s’impose en solitaire à Meerbeek, devançant son ami Sean Kelly et le Panasonic Eric Vanderaerden.

Vainqueur du Tour des Flandres 1987. Il faudra attendre 30 ans pour voir un autre coureur wallon, en l’occurrence Philippe Gilbert, s’imposer au Tour des Flandres.

Ses deux superbes victoires au sommet du redoutable Mur de Huy dans la Flèche Wallonne. En 1985 d’abord, quand il s’impose en solitaire avec le maillot de champion du monde sur les épaules. En 1989 enfin, lorsqu’il laisse littéralement le batave Steven Rooks sur place dans la partie la plus pentue de l’ascension finale.

Sa remarquable saison 1986 durant laquelle il remporte le Midi Libre et le Tour de Romandie, deux épreuves par étapes préalables à la grande messe de juillet, le Tour de France. Une grande boucle où il décroche d’ailleurs cette année-là une remarquable 5ème place finale à Paris, n’étant précédé que par Greg LeMond, Bernard Hinault, Urs Zimmermann et Andy Hampsten, excusez du peu !

Son titre de champion de Belgique en 1990, remporté – tout un symbole – à Soumagne, à une portée de fusil du parcours de ce Liège-Bastogne-Liège qui se refusa toujours à lui.

Son succès au GP de Wallonie en 1988, au sommet de notre belle Citadelle de Namur, où il dépose les français Laurent Fignon et Charly Mottet pour s’envoler vers la ligne d’arrivée.

Ses douze participations au Tour de France, où il ne remporte certes aucune étape, mais qu’il termine à dix reprises dans le top 20, à l’époque glorieuse des Hinault, Zoetemelk, Fignon, Roche et Delgado.

Son pied de nez à Bauer en 1989 à l’Amstel Gold Race. Animé d’une hargne incommensurable, il remporte le sprint pour la seconde place, sur le plat, devant le canadien. « Vous voyez que je l’aurais battu à la régulière dans le sprint en côte à Renaix » semble-t-il nous dire.

La Vieille Boucle Lustinoise honore un grand champion : Claudy Criquielion à jamais dans nos cœurs de supporters!

Claude, dit « Claudy » Criquielion, Lessines le 11 janvier 1957 – Aalst le 18 février 2015

Ses principales victoires

Semaine Catalane 1979

Flèche Brabançonne 1982

Classica San Sebastian 1983

Championnat du Monde 1984

Escalade de Montjuich 1979 et 1984

GP Eddy Merckx 1984

Flèche Wallonne 1985 et 1989

GP du Midi Libre 1986 et 1988

Tour de Romandie 1986

Tour des Flandres 1987

GP de Wallonie 1988

Champion de Belgique 1990

Championnat de Belgique 1990

Au Tour de France

Douze participations…

Un « Top 5 » final à Paris

Quatre « Top 10 » final à Paris

Cinq « Top 20 » final à Paris

Un « Top 40 » final à Paris

Un abandon

Ses plus beaux accessits

Liège-Bastogne-Liège : Six « top 10 » dont deux 2ème place en 1985 et 1991

Flèche Wallonne : Quatre « top 10 » dont deux 2ème place en 1987 et 1991

Amstel Gold Race : 2ème en 1989

GP de Wallonie : Trois « Top 3 »

Giro : Une participation en en 1989 – 7ème place finale à Milan

Vuelta : Une participation en en 1980 – 3ème place finale à Madrid

Ses équipes

1979 KAS

1980-1984 SPLENDOR

1985-1989 HITACHI

1990-1991 LOTTO